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LE CARACTÈRE DE TANNHÄUSER 107

et il avait goûté avec ivresse la joie de ses premiers triomphes d'artiste, le plaisir de vivre dans un milieu sympathique. Mais, comme Tannhauser aussi, Wagner sentait tout le péril qu'il peut y avoir à se complaire dans les jouissances faciles que le vulgaire regarde comme le bonheur. Pour atteindre ce bonheur tangible qu'il convoitait, pour acquérir la gloire artistique, il savait qu'il lui fallait subordonner aux goûts du public les inspirations de sa nature supérieure, suivre les caprices de la mode, se prêter à des bassesses, à de vils compromis. Les jouissances positives de la vie se présentaient à lui seulement sous la forme de tentations avilissantes qu'il lui fallait repousser à tout prix sous peine de renier ses convictions d'artiste et de déchoir à ses propres yeux (i). Tannhauser cependant rentre dans la vie ; le passé ne lui apparaît plus que comme un songe mauvais ; il reprend sa place parmi les chanteurs de la Wartbourg, il revoit la fille du landgrave, la douce et pure Elisabeth (2) dont il

(1) Ges, Schr. IV, 278 s.

(2) L'idée première du personnage d'EIisabeth a pu être fournie à Wagner par un trait de la légende ancienne du tournoi des chanteurs qui est reproduit par Grimm dans son récit de cette légende {Deutsche Sagen, II, n° 563) : lorsque Ofterdingen est vaincu et que ses ennemis veulent le livrer au bourreau Steinpfel, il se réfugie auprès de la princesse Sophia, femme du landgrave de Thuringe et se cache sous son manteau. — Dans le conte de Hoffmann, Ofterdingen est amoureux de la comtesse Mathilde qui, de son côté, préfère Wolfram d'Eschenbach à tous les autres chanteurs de la Wartbourg. Pour la conquérir, Ofterdingen se met à l'école du magicien Klingsor. Il triompre en etfet des autres Minnesänger par des chants d'amour passionnés et sensuels, et se fait ainsi aimer de Mathilde; elle veut être instruite par lui dans l'art du chant, tombe entièrement sous son influence, perd à son contact toute grâce et toute beauté et finit par quitter la Wartbourg. Mais la victoire de Wolfram sur Ofterdingen met fin à cette espèce de possession, et Mathilde revient à son premier amant Wolfram. — On voit que Wagner a également emprunté à ce récit divers traits en les modifiant d'ailleurs complètement. Il a substitué à la comtesse Mathilde le personnage historique de sainte Elisabeth de Hongrie qui fut la lemme du fils du landgrave Hermann. Une vieille légende reproduite dans la nouvelle de Hoffmann racontait que Klingsor, à l'époque où il se trouvait à la Wartbourg, avait prédit la naissance imminente d'Elisabeth fille du roi André et de la reine Gertrude de Hongrie et qu'aussitôt le landgrave Hermann avait envoyé une ambassade afin de demander pour son fils la