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TANNHAUSER

pompeux et chatoyant, qui lui dissimulait comme sous un vêtement d'apparat la svelte forme humaine qui seule pouvait charmer ses regards. » Et il prenait peu à peu conscience que les sujets historiques ne conviennent pas au drame musical parce que l'histoire ne nous montre pas les choses dans leur vérité intime et essentielle, mais nous présente une multitude confuse et bigarrée de faits, qu'il est impossible de ramener à l'unité et de présenter sous une forme plastique (i). Ces raisons, qu'il sentait intuitivement sans les concevoir encore nettement, le déterminèrent à mettre une première fois de côté son projet de drame historique pour s'occuper du plan de Tannhdiiser qui germa dans son cerveau vers celte époque. Cet abandon, toutefois, n'était pas encore définitif. Après le demi-succès du Vaisseau-fantôme, Wagner fut tenté de revenir à Manfred. C'était bien là, il le sentait, le sujet qu'il lui fallait pour retrouver un triomphe pareil à celui de Rienzi, surtout avec le concours d'une interprète comme la Schrôder-Devrient dans le rôle de la jeune Sarrazine. Il esquissa donc rapidement un scénario détaillé de la pièce et le lui soumit. Mais le rôle qu'il lui destinait ne lui plut pas. « La prophétesse ne peut redevenir femme » : tel est le trait essentiel qui caractérise la physionomie morale de l'amie de Manfred. Or la Schrôder-Devrient, nature vibrante et passionnée en même temps que grande artiste, ne voulait à aucun prix abdiquer comme femme ; aussi trouva-l-elle que ce caractère manquait de vie et de chaleur. Manfred était condamné cette fois sans appel ; et il n'y a probablement pas lieu de le regretter. L'enthousiasme eût fait défaut à 'Wagner pour une œuvre de ce genre qui ne répondait plus qu'imparfaitement à ses ten-

(1) Ges. Schr. IV, 270-12.