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PROJET DE DRAME SUR MANFRED 95

rejetait à la fois comme dramaturge et comme musicien. Il s'arrêta finalement à un épisode de l'histoire des Hohenstaufen qui lui paraissait susceptible d être traité avec beaucoup de liberté : la conquête du royaume de Sicile par Manfred, le fils de l'empereur Frédéric II. Sur le drame proprement historique, qui se terminait par le couronnement de Manfred, Wagner se proposait de greffer un drame passionnel tiré de son imagination. Il se souvenait d'avoir vu jadis une gravure qui représentait Frédéric II au milieu d'une cour presque arabe où -figuraient des femmes arabes qui chantaient et dansaient. Ce dernier trait avait vivement frappé son imagination et lui avait inspiré l'idée d'incarner le génie de Frédéric II, dont la grande figure l'avait tout particulièrement séduit, sous les traits d'une jeune fille sarrazine, fruit des amours de l'empereur avec une fille de l'Orient à l'époque de son séjour en Palestine. Cette jeune fille héroïque et enthousiaste apparaît comme une prophétesse à la cour de Manfred ; s'enveloppant du plus profond mystère pour agir avec plus de force sur l'âme du jeune prince, elle ranime son courage, le pousse à l'action, gagne à sa cause les Arabes de Lucera, le conduit de victoire en victoire jusque sur le trône. Quand son œuvre est terminée, elle meurt en se jetant volontairement au devant d'un coup de poignard destiné au roi et révèle, en expirant, à son frère, le mystère de sa naissance (i). Cette esquisse qui ne manquait ni de chaleur ni d'éclat ne tarda pas cependant à perdre son prestige aux yeux de Wagner ; il se rendit bien vite compte qu'elle avait un défaut capital à son point de vue : les personnages qu'elle mettait en scène n'étaient pas assez typiques. Son drame projeté lui apparut comme « un tissu historico-poétique étincelant,

(1) Cette esquisse a été publiée dans les Bayr. Bläter, 1889, p 6. 88.