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90 LE VAISSE.VU-FANTÔME

l'Océan sans patrie et sans foyer. Il ne rêvait pas, comme Odysseus, de revenir à son point de départ, de rentrer en Allemagne pour y reprendre l'existence mesquine qu'il avait rejetée en s'embarquant pour Paris, L'Allemagne réelle qu'il avait connue et quittée n'avait pour lui aucun attrait particulier. Ce qu'il chantait, c'était une Allemagne inconnue, une patrie qui l'aimât et le comprît comme Senta aimait le Hollandais maudit, un milieu où il se sentît soutenu par la sympathie de tous dans ses projets de réforme artistique, dans ses efforts généreux vers un idéal esthétique et moral toujours plus élevé (i). Telle était l'idée générale, à coup sûr originale et intéressante, que Wagner avait aperçue dans la légende du Hollandais volant. Pour la première fois il posait nettement, dans son drame, un problème que nous allons retrouver désormais dans chacune de ses œuvres, le problème du salut. Tous ses héros, depuis le Hollandais ou Tannhâuser jusqu'à Wotan ou Tristan, Amfortas ou Kundry, cherchent le chemin du vrai bonheur, le sens de la vie, et le trouvent, au terme de leurs épreuves, le plus souvent grâce à l'intercession d'un « Sauveur » qui leur montre la bonne voie ou qui les « rachète » par un acte d'amour ou de pitié. Ainsi le Hollandais maudit est rédimé par l'amour de Senta, Tannhâuser par le dévouement d'Elisabeth, Wotan et les dieux du Walhall par l'intervention de Brûnnhilde, Amfortas, et Kundry par la vertu libératrice du simple et pur Parsifal. Remarquons, toutefois, que dans le Vaisseau-fantôme, le problème de la rédemption est encore assez gauchement posé, et cela parce que Wagner nous laisse ignorer quelle est la faute tragique de son héros et pourquoi il a besoin d'être rédimé.

(1) Ges. Schr. IV, 268 s.