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aura donc toujours le mérite de nous montrer comment, au contact de la culture hellénique, Nietzsche a pris conscience de lui-même.


III


Pour définir l’attitude adoptée par Nietzsche, pendant la première partie de sa vie de penseur, vis-à-vis de la civilisation contemporaine, on pourrait dire, en se servant des formules dont nous venons de préciser le sens, qu’il est un philosophe tragique vivant au sein d’une civilisation socratique.

Nietzsche conçoit l’existence de l’homme comme une lutte héroïque contre toute erreur et toute illusion. Il considère le monde avec les yeux du pessimiste : la nature lui apparaît comme une force redoutable et souvent malfaisante ; l’histoire lui semble « brutale et vide de sens ». Il s’interdit impérieusement de céder aux séductions de l’optimisme vulgaire ; il refuse de se prêter aux illusions par lesquelles l’homme cherche à se persuader que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ; il refuse surtout de croire que la vie puisse jamais nous donner un instant de vraie joie et de se laisser prendre aux trompeuses apparences de bonheur qui déçoivent le vulgaire. La mission de l’homme supérieur est donc, selon lui, de combattre sans merci tout ce qui est mauvais », de dissiper toutes les erreurs, de dénoncer toutes les valeurs fausses et surfaites, de se montrer impitoyable pour toutes les faiblesses, toutes les lâchetés, tous les mensonges de la civilisation : « Je rêve, écrit-il, d’une association d’hommes qui seraient entiers et absolus, qui ne garderaient aucun ménagement et se donneraient à eux-mêmes le nom de « destructeurs » : ils soumettraient tout à leur critique et se sacrifieraient à la vérité. Il faut que ce qui