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variées, sous le masque d’un héros qui lutte ; il est enveloppé en quelque sorte dans le réseau de la volonté individuelle. Le dieu, tel qu’il se montre dans ses paroles et dans ses actes, ressemble à un individu qui erre, lutte et souffre, et s’il apparaît ainsi avec la netteté, la précision de la vision épique, c’est grâce à l’intervention d’Apollon interprète des songes qui rend intelligible au chœur son extase dionysienne à l’aide de cette vision symbolique. Mais en réalité le héros tragique est ce Dionysos souffrant dont parlent les mystères, ce dieu qui éprouve par lui-même les douleurs de l’individuation, ce dieu qui, au dire de légendes merveilleuses, fut déchiré, tout enfant, par les Titans et adoré ainsi, sous le nom de Zagreus : on indiquait par là que cette lacération du dieu, image de sa souffrance, était semblable à une métamorphose en air, eau, terre et feu, et que, par suite, nous devions considérer l’individuation comme la source et l’origine de tous les maux et comme quelque chose de funeste en soi. Du sourire de ce Dionysos sont nés les dieux, de ses larmes les hommes. Dans l’existence qu’il mène à l’état de Dieu lacéré, Dionysos se montre sous le double aspect d’un démon cruel et assauvagi et d’un souverain doux et paisible. Mais les époptes mettaient leur espoir dans une nouvelle naissance de Dionysos, que nous pouvons interpréter maintenant comme l’aspiration vers la fin de l’individuation : c’est pour célébrer la venue de ce troisième Dionysos que retentissait le chant d’allégresse des époptes. Seul cet espoir fait briller un rayon de joie sur la face du monde déebiqueté, émietté en innombrables individus : c’est ce que le mythe exprimait symboliquement par le deuil éternel de Déméter qui ne se réjouit à nouveau que lorsqu’on lui dit qu’elle pourrait enfanter encore une fois Dionysos[1]. » — Ainsi les tragiques grecs

  1. W. I, 73 s.