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que la volonté objectivée sous l’action du principe d’individuation.

Mais, continue Nietzsche, s’écartant ici de la doctrine de Schopenhauer, le monde, injustifiable au point de vue rationnel, peut se justifier, peut-être, comme phénomène esthétique, comme la vision d’un démiurge-artiste, comme l’œuvre d’art suprême causant à son créateur une suprême volupté esthétique. Dans cette hypothèse l’homme devrait faire effort pour prendre sa part de cette vision de beauté en développant en lui le sens du beau, en contemplant l’universj en se considérant lui-même uniquement sous le point de vue du beau ; dans le moment de la création artistique, nous ressentons peut-être quelque chose de l’infinie jouissance du créateur. Or, en tant qu’individu conditionné par le principe d’individuation et vivant dans le monde des phénomènes, l’homme est artiste par le don de la vision créatrice. Il peut créer en lui, soit directement (en tant qu’artiste créateur), soit médiatement (par la contemplation de l’oeuvre d’art qui évoque puissamment la vision intérieure) des images du monde extérieur qui lui causent une jouissance artistique. L’essentiel de l’acte esthétique, c’est la création d’une image intérieure, c’est par conséquent une vision, un rêve du monde extérieur, non pas seulement en ce qu’il a de beau, de joyeux, mais aussi en ce qu’il a de redoutable, de douloureux. C’est cette faculté de créer des images de la vie réelle que Nietzsche appelle la faculté apollinienne. L’art apollinien est en première ligne la sculpture, et la peinture ou encore la poésie épique. C’est un rêve que l’homme veut continuer de rêver et dans lequel il se complaît tout en ayant conscience de son irréalité. L’homme apollinien échappe au pessimisme par la contemplation de la beauté ; il dit à la vie : Je te veux, car ton image est belle, tu es digne d’être rêvée !

Mais l’homme n’est pas seulement un être limité par