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le culte de la variante « en soi », à ne pas se complaire dans un entassement stérile de remarques de détail sans portée et sans intérêt, mais à faire de la philologie en philosophe et en artiste. Il estimait en effet que l’idéal classique restait un modèle impérissable aussi pour l’époque moderne, et que nul progrès industriel, nul règlement scolaire, nulle éducation politique et sociale des masses ne pouvaient nous empêcher de redevenir des barbares le jour où nous cesserions d’admirer la noble simplicité et la tranquille dignité de l’art hellénique. Bien plus : il avait la conviction que cette culture grecque si orgueilleusement dédaignée par les apôtres du progrès scientifique et des idées modernes, était en réalité fort supérieure à la nôtre, que les Grecs avaient été plus près que nous de la solution du problème de l’existence, et qu’ainsi ils étaient nos maîtres non seulement en matière de goût, mais d’une manière générale dans l’art de la vie. La tâche du philologue devenait ainsi singulièrement vaste et belle à ses yeux : il s’agissait désormais pour lui non plus d’éplucher des textes ou d’imaginer de nouvelles conjectures, mais de faire revivre l’âme même de la Grèce antique ; de voir comment l’esprit grec avait pu s’élever jusqu’au point de perfection où il nous apparaît dans les œuvres qu’il nous a léguées, d’étudier les conditions physiques, les croyances religieuses, l’organisation politique et sociale, les influences climatériques ou ethnologiques qui ont permis au peuple grec de se développer comme il l’a fait, de replacer enfin l’histoire de l’hellénisme à la place qu’elle occupe dans l’évolution de la civilisation européenne, et de voir ce que les modernes ont encore à apprendre des Grecs. Aborder les problèmes éternels de l’humanité par l’étude approfondie de l’âme antique, telle était le programme grandiose que se traçait Nietzsche au moment où il commençait à professer à l’Université de Bâle : « La philologie, disait-il à la fin de son discours