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que celle de Gœthe, et je doute qu’elle puisse jamais être pleinement goûtée en dehors d’un cercle relativement assez restreint d’esprits raffinés — ou, si l’on veut même, quelque peu blasés et « fin de siècle ». Mais je crois que le lecteur qui se sera familiarisé avec le style symbolique et dithyrambique, avec la langue insolite au premier abord de cette œuvre à peu près unique en son genre, se défendra difficilement d’une émotion singulièrement intense, presque physique, et comparable à celle qu’on ressent à l’audition de certains morceaux d’orchestre. On sent, dans cette prose poétique, l’œuvre d’un passionné de musique, et l’on comprend aisément que l’un des chefs de la jeune école allemande. M. Richard Strauss ait choisi le Zarathustra de Nietzsche pour sujet d’une de ses compositions symphoniques les plus connues.


V


Aristocrate par ses instincts, épris de vérité et d’art, tout à la fois intellectuel et sensitif, volontaire et passionné, penseur, savant, musicien, poète, Nietzsche nous apparaît comme une nature singulièrement riche et complexe. Mais cette variété d’instincts, de goûts et d’aptitudes ne fait pas tort, chez lui, comme chez tant d’esprits modernes, à l’unité essentielle de la personnalité. Rien ne serait plus faux que de le comparer à Heine, par exemple, que nous voyons tiraillé toute sa vie entre les tendances contraires de sa sensibilité et de sa raison, athée par son intelligence, vaguement religieux par instinct, tout à la