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et songé à « se risquer sur la mer du doute », mais qu’il a reconnu qu’il est fou pour un esprit encore inexpérimenté d’entreprendre un pareil voyage sans compas ni pilote. Il voit dès ce moment « que tout le christianisme repose sur des hypothèses ; l’existence de Dieu, l’immortalité, l’autorité de la Bible, l’inspiration, etc., resteront à tout jamais des problèmes. J’ai essayé de nier tout cela : oh ! il est facile de détruire, mais après il faut bâtir ! Et même détruire semble plus facile que ce n’est en réalité ; nous sommes en notre for intérieur si fortement déterminés par les impressions de notre enfance, par l’influence de nos parents, de nos maîtres, que ces préjugés profondément enracinés ne se laissent pas extirper aisément par des arguments logiques ou par un simple décret de la volonté. La puissance de l’habitude, le besoin de l’idéal, la rupture avec le monde actuel, la dissolution de toutes les formes de la société, le doute qui se demande avec angoisse si pendant deux mille ans l’humanité aurait été victime d’une illusion, le sentiment de notre propre témérité et de notre présomption : tous ces sentiments se livrent en nous un combat indécis, jusqu’au jour où des expériences douloureuses, de tristes événements ramènent notre cœur aux vieilles croyances de l’enfance[1] » : s’il reste toujours chrétien, son christianisme devient purement symbolique. « Le christianisme, écrit-il, est essentiellement une affaire de cœur ; c’est seulement quand l’idée chrétienne s’est en quelque sorte incarnée en nous, quand elle est devenue une partie de notre sensibilité, que nous sommes de vrais chrétiens. Les principales doctrines du christianisme ne font qu’exprimer les vérités fondamentales du cœur humain ; elles sont des symboles, de même que les vérités les plus hautes doivent toujours être les symboles de vérités plus hautes encore. Arriver à la

  1. Mme Förster-Nietzsche. Ouvr. cité, I. 314.