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Depuis quelques années, cependant, se préparait dans l’âme de Nietzsche une évolution que les documents publiés par Mme Förster-Nietzsche nous permettent de suivre très exactement. — Le croyant protestant qui appartient à une nuance tant soit peu libérale du protestantisme, ne subordonne en aucune façon la science à la religion, mais croit à une harmonie parfaite entre la foi religieuse et la science indépendante ; lorsqu’il aborde l’étude de la nature, de l’histoire, de la philosophie, il lui est donc permis et même recommandé de rechercher « la vérité » sans parti pris d’aucune sorte, sans la volonté arrêtée d’avance de trouver dans la science l’apologie de la religion. La libre recherche du vrai, jointe à la conviction que cette libre recherche conduit spontanément à la religion est un des traits caractéristiques du protestantisme et en particulier du protestantisme allemand moderne. L’amour de Dieu et la croyance que cet amour doit guider toute notre existence se concilient pour lui — en théorie du moins — avec l’amour de la vérité et la conviction que l’amour du vrai doit être le principe directeur de notre vie entière. C’est à ce point de vue que se place Nietzsche pendant ses années de collège. Il sent en lui dès cette époque « un extraordinaire désir qui le pousse à acquérir le savoir, une culture universelle » ; il dresse un long catalogue des diverses sciences spéciales qu’il voudrait posséder, mais il ajoute, à la fin de son énumération : « et par-dessus tout la Religion, cette base solide de tout savoir[1] ». Peu à peu cependant, sans secousses violentes, cette croyance à l’harmonie entre la religion et la science s’efface en lui. En 1862, l’année qui suit sa confirmation, il écrit un curieux essai philosophique sur « le destin et l’histoire » qui nous montre qu’il a déjà mesuré par la pensée « l’immense océan des idées »

  1. Journal intime à la date du 25 oct. 1859. Mme Förster-Nietzsche, Ouvr, cit., I, 125 s.