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teurs de Nietzsche. Il est évident qu’on pourra en tirer des conclusions très différentes : les uns y verront une nouvelle preuve du « manque d’originalité » de Nietzsche ; d’autres au contraire lui feront un mérite d’avoir donné à une rêverie astronomique, à une simple hypothèse scientifique, une poésie profondément tragique, une signification morale sublime qu’elle n’avait pas ou qu’elle n’avait en tout cas pas au même degré chez les penseurs français qui l’ont d’abord formulée. Pour ma part, j’estime que cette coïncidence est intéressante surtout parce qu’elle nous montre que l’une des idées en apparence les plus paradoxales de Nietzsche n’est pas en réalité le produit strictement individuel d’une imagination anormale et morbide, mais qu’elle a été en quelque sorte dans l’air entre 1871 et 1881 puisque trois penseurs aussi différents que Nietzsche, Blanqui et le docteur Le Bon ont pu y arriver par des voies indépendantes, et qu’ainsi Nietzsche, même dans sa mystique théorie du Retour éternel, est le représentant d’une tendance authentique de l’âme moderne[1].


  1. Il va sans dire que la théorie du Retour éternel se retrouve bien avant la fin du XIXe siècle. Si l’on voulait en rechercher les origines il faudrait remonter jusqu’à la philosophie de la Grèce antique. Aux exemples que je cite, je joins encore un témoignage curieux appartenant aussi au XIXe siècle. Un article de la Frankfurter Zeitung (18 avril 1899) cite un passage de Heine, dans les additions au chap. xx du Voyage de Munich à Gênes, où se trouve esquissée toute la théorie : « Sache que le temps est infini, mais que les choses dans le temps sont finies ; elles peuvent se dissoudre en particules infinitésimales, mais ces particules, ces atomes sont en nombre défini, et défini est aussi le nombre des formes que Dieu crée avec eux ; si bien qu’après un temps sans doute très long, en vertu des lois de combinaison éternelles de cet éternel recommencement, toutes les formes qui ont déjà été sur cette terre, apparaîtront à nouveau pour se rencontrer, s’attirer, se repousser, s’embrasser, se perdre l’une l’autre, après comme avant… ». Il ne faudrait pas voir dans ce passage la source à laquelle aurait puisé Nietzsche ; il ne figure en effet pas dans les anciennes éditions de Heine et Nietzsche ne l’a pas connu. Il y a de nouveau « rencontre », comme entre Nietzsche, Blanqui et Le Bon.