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attribuons, tout en évitant le ridicule de prétendre donner en quelques pages la « vraie » solution des problèmes complexes et délicats qui forment la matière du débat.

L’œuvre de Nietzsche a été critiquée à deux points de vue : les uns se sont surtout attachés à montrer qu’elle contenait des » erreurs » de fait ou d’appréciation ; d’autres ont plutôt cherché à prouver qu’elle était dangereuse au point de vue moral.

On a donc d’abord contesté la valeur des arguments apportés par Nietzsche pour démontrer ses thèses. Il cherche — pour prendre un exemple précis — à corroborer par des arguments tirés de la linguistique sa thèse que les valeurs admises parla civilisation ancienne étaient « aristocratiques » et ont été, dans la suite, remplacées par les valeurs d’esclaves : à l’appui de cette assertion il cite le latin bonus qu’il ramène à une forme primitive duonus (de duo, deux) et qu’il explique par « homme de la discorde, de la guerre » ; de même il rapproche l’allemand gut (bon) de Gott (dieu) et du nom de peuple les Goths ; ou bien encore il rappelle les variations de sens du mot allemand schlecht, schlicht qui signifie à la fois simple, commun (ein schlichter Mann un homme du peuple) et aussi mauvais. Or M. Bréal constate que la plupart des faits linguistiques cités par Nietzsche sont ou inexacts ou mal interprétés[1]. — On a, d’autre part, contesté au nom de l’anthropologie et de l’histoire l’hypothèse de la « bête de proie » blonde et solitaire que Nietzsche place à l’origine des civilisations européennes. Il paraît que l’homme préhistorique lui-même aurait été une « bête de troupeau », que les sentiments de sympathie et de solidarité apparaissent déjà chez les singes supérieurs et que le Germain du temps des grandes invasions à qui Nietzsche a surtout songé en traçant son portrait du « fauve blond » était un

  1. Mémoires de la Société de linguistique, t. IX. p 457 ss.