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ces cauchemars monstrueux qui vous glacent le sang dans les veines et arrêtent les battements de votre cœur. Sa « dureté » pour les malheureux et les déshérités de la vie apparaît maintenant sous un jour tout autre. Comme on comprend à présent qu’il se soit écrié, en songeant à eux : Qu’ils meurent bien vite, qu’ils se tuent — ou qu’on les tue, ces infortunés — avant qu’ils aient pu mesurer toute la profondeur de l’abîme de douleurs où ils sont plongés, qu’ils aient pu concevoir la destinée monstrueuse qui les condamne à traîner éternellement leur croix sans rédemption possible ! — Et l’on comprend aussi qu’il ait pu se demander si l’humanité, dans son ensemble, était capable de s’assimiler cette doctrine sans sombrer aussitôt dans un vertige de désespoir et d’horreur, qu’il ait considéré la pensée du Retour éternel comme une sorte de pierre de touche au contact de laquelle viendraient s’anéantir tous ceux dont la vitalité n’était pas assez puissante pour supporter la révélation d’une pareille vérité.

Il faut en effet une singulière force d’âme, une rare énergie vitale pour supporter sans effroi l’idée du Retour éternel. Celui-là seul y parvient qui a une personnalité assez puissante pour pouvoir dire : si la vie n’a pas de sens par elle-même, je sais lui en donner un. Je suis une parcelle de cette nature qui se veut elle-même toujours à nouveau, qui parcourt sans se lasser, éternellement, le même cycle. Je me hausserai donc jusqu’à jouir en artiste de la splendeur incomparable de la vie féconde, comme du plus magnifique de tous les spectacles. Je m’intéresserai à ce jeu merveilleux de combinaisons qui a déjà produit tant de belles et bonnes choses, qui a donné naissance à l’Homme et qui, peut-être, produira le Surhomme. Je souhaiterai de toute la force de mon âme que le hasard aveugle réalise un jour, par delà l’Homme, quelque réussite miraculeuse, éblouissante. Je vivrai du