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mêlait une indicible horreur. Tout d’abord il la garda pour lui. Une exposition générale de sa doctrine nouvelle, le Retour éternel, qui avait été esquissée dès l’été de 1881 resta inachevée[1]. Dans un aphorisme de Gaie science, pour la première fois, Nietzsche émit publiquement l’idée d’un Retour éternel comme une sorte de paradoxe inquiétant. Il suppose qu’un démon vienne formuler cette hypothèse, en une heure solitaire, à l’oreille du penseur. « Ne te jetterais-tu pas contre terre, conclut-il, ne grincerais-tu pas des dents et ne maudirais-tu pas le démon qui t’aurais parlé ainsi ? Ou bien as-tu vécu la minute ineffable où tu pourrais lui répondre : « tu es un dieu et je n’ai jamais ouï parole plus divine ! » Si cette pensée prenait possession de toi, — tel que tu es, elle te transformerait et peut-être t’écraserait. Cette question posée à tout instant de ta vie : « veux-tu cela encore une fois, éternellement ? » pèserait d’un poids formidable sur toute ton activité ! Ou alors combien il te faudrait aimer et toi-même et la vie, pour ne plus souhaiter autre chose que cette suprême et éternelle consécration et confirmation[2] ? » — Nietzsche à cette époque, songeait à consacrer dix ans de sa vie à étudier l’histoire naturelle à Vienne ou à Paris, à tâcher de donner à son hypothèse une base scientifique, et, après des années de silence, à rentrer en scène comme prophète du Retour éternel. — Il ne tarda pas d’ailleurs à renoncer à ce projet pour diverses raisons, dont la principale était qu’un examen superficiel du problème au point de vue scientifique lui révéla aussitôt l’impossibilité de démontrer sa doctrine du Retour en se fondant comme il pensait le faire sur la théorie atomique[3]. Mais son hypothèse, indémontrée

  1. L’esquisse du Retour éternel a paru au tome XII des Œuvres ; mais elle paraît avoir été inexactement reconstituée ; aussi le tome XII vient-il d’être retiré du commerce. Voir à ce sujet l’étude de M. Horneffer, Nietzsches Lehre von der Ewigen Wiederkunft und deren bisheriqe Veröffentlichung, Leipzig, Naumann, 1900.
  2. W. V, 265 s.
  3. Mme Lou Andreas-Salomé, F. Nietzsche in seinen Werken, p. 224 s.