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La guerre, la lutte ouverte de forces rivales et contraires, est en effet, selon Nietzsche, l’instrument le plus puissant du progrès. Elle montre où est la force, où est la faiblesse, où est la santé physique et morale, où est la maladie. Elle constitue une de ces « expériences » dangereuses qu’institue le sage pour faire progresser la vie, pour éprouver la valeur d’une idée, d’une pensée au point de vue du développement de la vie. La guerre est donc bienfaisante, bonne en elle-même ; aussi Nietzsche prédit-il sans trouble et sans regrets que l’Europe va entrer dans une période de grandes guerres où les nations lutteront entre elles pour l’hégémonie du monde.

Tandis que l’ancienne table des valeurs plaçait la pitié au premier rang des valeurs, Zarathustra enseigne au contraire que la volonté est la plus haute vertu : « Voici la nouvelle loi, ô mes frères, que je promulgue pour vous : Devenez durs[1]  ! » — Il faut en effet que le créateur soit dur, dur comme le diamant, dur comme le ciseau du sculpteur, s’il veut modeler à son gré le bloc informe du hasard, s’il a l’ambition d’instituer des valeurs nouvelles, de marquer à son empreinte des générations entières, de pétrir la volonté même de l’humanité future, et d’y inscrire, comme en des tables d’airain sa volonté à lui. La pitié est, pour lui, non pas une vertu, mais une suprême tentation et le plus terrible de tous les dangers. Le « dernier péché » de Zarathustra, le plus redoutable de tous les assauts qu’il doit subir, c’est celui de la pitié. Du haut de sa caverne solitaire il entend retentir dans le fond de sa vallée l’appel désespéré des « hommes supérieurs » qui l’implorent, qui lui crient « Viens ! viens ! viens ! il est temps, il est grand temps[2] ! » S’il a pitié de leurs misères, si son cœur s’attendrit à la vue de leurs

  1. W. VI, 312.
  2. W. VI, 351.