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profondément incapable de créer une valeur nouvelle, de vouloir longtemps et fortement une volonté[1]

Supposons même ce type moyen porté à son extrême perfection, supposons réalisé l’homme objectif en qui s’épanouit complètement, sans tare aucune, l’instinct scientifique le plus pur ; dans ce cas même qu’aurons-nous obtenu ? Rien de plus qu’un miroir, c’est-à-dire un instrument et non pas une volonté. « L’homme objectif, dit Nietzsche, est un miroir. Toujours prêt à prendre l’empreinte de tout ce qui veut être connu, ignorant toutes les joies autres que celle de connaître, de « refléter », — il attend jusqu’à ce que quelque chose se présente ; alors il se déploie en une surface unie et sensible, de telle sorte que les pas les plus légers, le glissement même d’un fantôme, ne puissent manquer de faire impression sur cet épiderme délicat. Ce qui reste en lui de « personnalité » lui semble fortuit, souvent arbitraire, encore plus souvent incommode : tant il s’est habitué à n’être plus qu’un lieu de passage où se mirent des formes et des choses étrangères… Il n’a plus la volonté, ni le temps de s’occuper de lui-même : il est serein, non pas faute de peines, mais parce qu’il ne sait ni toucher du doigt ni manier ses peines personnelles… Veut-on obtenir de lui de l’amour ou de la haine, j’entends de l’amour et de la haine tels que le comprennent Dieu, les femmes et les bêtes — : il fait ce qu’il peut, il donne ce qu’il peut. Mais ne vous étonnez pas si ce n’est pas grand’chose et si, précisément sous ce rapport, il se montre « mauvais teint », fragile, problématique et inconsistant. Son amour est voulu, sa haine est un produit artificiel, un « tour d’adresse », quelque chose d’un peu vain et d’exagéré. Il n’est « bon teint » que dans la mesure où il peut être objectif : ce n’est que dans son universalisme serein qu’il est encore « nature » et « natu-

  1. W. VII, 82 s.