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d’exception, et qui cherche toujours à briser tout arc tendu — ou mieux encore à le détendre — le détendre bien entendu avec égards, d’une main pleine de sollicitude, avec une pitié insinuante — mais le détendre : c’est l’art particulier du jésuitisme, qui a toujours su prendre les dehors de la religion de la pitié[1]. » Sans doute le savant est absolument détaché, en général, de toute croyance positive ; le savant allemand, surtout, a même de la peine à prendre au sérieux le problème religieux ; il incline vers une pitié un peu méprisante pour la religion et ressent une instinctive répulsion pour l’insincérité intellectuelle qu’il présuppose chez tout croyant ; ce n’est que par l’étude de l’histoire qu’il parvient à s’élever jusqu’à une sorte de respect nuancé de crainte ou de reconnaissance pour l’œuvre accomplie par l’homme religieux. Mais cette estime reste purement intellectuelle ; par son instinct même il est à mille lieues de sympathiser avec lui et, pratiquement, il fuira tout contact avec lui et ses pareils. En son âme et conscience il est imbu de l’idée que l’homme de foi est un type « inférieur » d’humanité, que l’homme de science le dépasse infiniment. Et pourtant quelle n’est pas son erreur ! Quel abîme sépare le bel exemplaire d’homme religieux — l’homme de grande volonté, malade il est vrai, mais luttant victorieusement, à force de volonté, contre la maladie, créateur de valeurs, sûr du but vers lequel il tend — d’avec ce brave homme de savant, ce « pygmée présomptueux » qui n’a foi ni en lui ni même en la science, qui travaille machinalement, mécaniquement, pour s’étourdir, pour s’empêcher de penser, pour écarter de lui les problèmes incommodes —, bon manœuvre assurément, et utile à la façon du laboureur, du maçon ou du menuisier, mais foncièrement médiocre, fait pour être dirigé, pour être commandé, mais incapable,

  1. W. VII, 148 s.