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idéal ; — ou s’ils croient à la science et proposent une solution au problème de la vie, c’est qu’ils empruntent les éléments de cette solution à l’idéal ascétique. En d’autres termes : les hommes de science sont ou des manœuvres médiocres, incapables de créer une nouvelle table de valeurs ou des ascètes raffinés et sublimés dont l’idéal ne diffère pas, au fond, de celui des prêtres.

Voici d’abord le savant « commun », l’honnête ouvrier de la science. Nietzsche le compare irrévérencieusement à une vieille fille : n’est-il pas, comme elle, infécond, très honorable, légèrement ridicule et, au fond, peu satisfait de son sort ! « Voyons d’un peu plus près, ajoute-t-il, ce qu’est l’homme de science. Il appartient d’abord à une race d’hommes non noble, possédant les vertus des races non nobles, c’est-à-dire des races qui ne commandent pas, qui n’ont pas d’autorité et qui ne se suffisent pas à elles-mêmes. Il est travailleur, docile à se laisser enrégimenter ; il est pondéré et moyen dans ces capacités comme dans ses besoins ; il devine d’instinct ses pareils et a le sens de ce qui est nécessaire à ses pareils : par exemple le petit coin d’indépendance et de pré vert sans lequel il n’est point de tranquillité dans le travail, le tribut nécessaire d’honneurs et d’approbation…, le rayon de soleil du bon renom, la consécration perpétuelle de sa valeur et de son utilité, indispensable pour vaincre à tout instant cette défiance intime de soi qui gîte au fond du cœur de tous les hommes dépendants et « bêtes de troupeau ». Le savant a, comme de juste, aussi, les maladies et les défauts d’une race non noble : il est tout gonflé de mesquine envie et il a un œil de lynx pour découvrir tout ce qu’il y a de bas dans les natures dont la grandeur lui est inaccessible… Ce qui peut, surtout, rendre un savant méchant et dangereux, c’est la conscience intime qu’il a de la médiocrité de sa race, c’est ce jésuitisme de la médiocrité, qui travaille instinctivement à l’anéantissement de l’homme