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c’est toute cette ambiance d’insincérité qui l’enveloppe, ce mélange louche de fourberie et d’aveuglement, cette innocence mensongère qui caractérise, selon lui, les hommes de foi. Les instincts les plus profonds de sa nature d’aristocrate, sa conscience intraitable, son amour de la « propreté » physique et morale, sa vaillance à aller jusqu’au bout de ses idées, se soulevaient contre cette duplicité. Il se détournait avec un intense dégoût de ces hommes chez qui l’illusion volontaire est devenue à tel point partie intégrante de l’existence, qu’ils ne savent plus eux-mêmes quand ils trompent et quand ils sont sincères, qui en arrivent à mentir en toute innocence, sans mauvaise conscience, prisonniers volontaires ou même le plus souvent involontaires de l’illusion dont ils vivent. Et il déclarait solennellement le christianisme coupable d’avoir souillé vicié, empoisonné l’atmosphère intellectuelle et morale de l’Europe entière.

Tous les efforts de l’Église n’ont pu empêcher, cependant, les sciences de se développer, la pensée humaine de contempler face à face la réalité des faits. Il y a aujourd’hui, de par l’Europe, une phalange nombreuse de savants, presque tous matérialistes, positivistes, athées, qui vivent en dehors de toute croyance, qui traitent même souvent avec le plus dédaigneux mépris l’instinct religieux. Ce sont là, semble-t-il au premier abord, les adversaires naturels de la domination du prêtre. Comment se fait-il, dès lors, que leur conception de la vie, fondée sur l’observation de la réalité, n’ait pas, depuis longtemps, mis fin à l’illusion chrétienne ? Comment les amis de la nature, de la vie, de la santé n’ont-ils pas réussi à empêcher le triomphe à peu près général des valeurs fixées par le christianisme ?

La réponse de Nietzsche est ingénieuse et originale. Les hommes de science, dit-il, ne croient pas à la science, et par conséquent n’opposent pas à l’idéal religieux un autre