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l’aspiration vers une vie exempte de souffrances. Le christianisme fait tous les hommes égaux devant Dieu et leur promet un bonheur parfait par delà le tombeau. Le démocrate veut tous les hommes égaux devant la loi et les incite à réaliser sur terre leur rêve de félicité parfaite. Il aspire à créer une société d’où l’inégalité serait bannie, où tous les hommes auraient les mêmes droits, les mêmes devoirs et une part égale de bonheur, où il n’y aurait plus de hiérarchie, où nul n’aurait plus ni à obéir ni à commander, où il n’y aurait plus ni maîtres ni esclaves, ni riches ni pauvres, mais une masse amorphe de « citoyens » tous pareils. C’est là l’idéal vers lequel tendent tous les démocrates, quelle que soit leur étiquette, qu’ils s’intitulent républicains, socialistes ou anarchistes. Ils sont tous d’accord pour repousser toute autorité supérieure, pour ne vouloir « ni Dieu ni maître », pour proscrire tout privilège ; — les anarchistes, sous ce rapport, se montrent simplement plus logiques que les socialistes et plus pressés qu’eux d’atteindre le but. Tous fraternisent dans une commune aversion pour la justice qui châtie et inclinent à regarder toute punition comme une iniquité. Ils communient dans la religion de la pitié, dans l’horreur de toute douleur, dans la conviction que la souffrance doit être abolie. Ils ont tous la foi dans le troupeau « en soi » ; ils croient que chaque individu peut et doit trouver son bonheur particulier dans le bonheur du corps social tout entier et que ce bonheur social peut être atteint par la pitié de chacun envers tous et par la fraternité universelle. Ces idées se sont implantées si profondément dans la conscience moderne, que l’Europe ne produit déjà presque plus d’hommes ayant l’instinct de la domination à un degré éminent. Un caractère de maître authentique comme celui de Napoléon est une exception infiniment rare à notre époque et a suscité un enthousiasme immense parmi l’humanité qui se tourne toujours instinctivement