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constamment et sur toutes les actions humaines au nom d’une « conscience morale » devant qui tout le monde s’incline avec respect. Or c’est précisément à ces convictions, qui dominent aujourd’hui la vie intérieure de presque tous les hommes, à ce culte de la vérité, à cette religion de la loi morale, que Nietzsche déclare la guerre. Au lieu de les accepter respectueusement comme un fait qu’il est inutile de discuter, comme une autorité dont il est impie d’examiner les titres, il les considère hardiment comme un problème, il ne craint pas de se poser nettement la question : Pourquoi la vérité plutôt que l’erreur ? Pourquoi le bien plutôt que le mal ? Et le problème ainsi posé il le résout avec la même hardiesse en fixant comme règle de conduite de l’homme vraiment libre la devise de cet ordre mystérieux des « Assassins » que les croisés rencontrèrent jadis en Terre Sainte : « Rien n’est vrai ; tout est permis. »

Pour Nietzsche en effet toutes ces entités métaphysiques, mystérieuses et surhumaines que l’homme a toujours supposées en dehors de lui et qu’il a révérées sous des noms divers — « Dieu », le monde des « Choses en soi », la « Vérité », l’ « Impératif catégorique » — ne sont que des fantômes de notre imagination. La réalité la plus immédiate, la seule réalité qu’il nous soit donné de connaître, c’est le monde de nos désirs, de nos passions. Tous nos actes, toutes nos volontés, toutes nos pensées sont en dernière analyse gouvernées par nos instincts, et ces instincts se ramènent tous, finalement, à un seul instinct primordial, la « volonté de puissance » qui suffit — c’est l’hypothèse de Nietzsche — pour expliquer à lui seul toutes les manifestations de la vie dont nous sommes témoins. Tout être vivant — plante, animal ou homme — tend à augmenter sa force en soumettant à sa domination d’autres êtres, d’autres forces. Cet effort continu, cette lutte perpétuelle où chaque être met sans cesse en jeu sa propre vie