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« Je m’en vais tout seul, ô mes disciples ! dit Zarathustra à ses fidèles. Et vous aussi allez-vous-en, et seuls aussi ! Je le veux ainsi.

En vérité je vous donne ce conseil : allez-vous-en loin de moi et défendez-vous de Zarathustra ! Mieux encore : ayez honte de lui ! Peut-être vous a-t-il trompés…

Vous dites que vous croyez en Zarathustra ? Mais qu’importe Zarathustra ! Vous êtes mes croyants : mais qu’importent tous les croyants !

Vous ne vous cherchiez pas encore : alors vous m’avez trouvé. Ainsi font tous les croyants ; et c’est pourquoi toute croyance est si peu de chose.

Maintenant je vous ordonne de me perdre et de vous trouver : quand vous m’aurez tous renié, — alors seulement je reviendrai vers vous[1]. »

Et de même que Nietzsche se distingue de tous les dogmatiques en ce qu’il ne prétend pas apporter aux hommes un nouveau credo, un corps de doctrines toutes faites, de même il diffère aussi de la plupart des philosophes et des hommes de science en ce qu’il ne s’adresse pas uniquement à la raison de ses lecteurs, mais à l’homme tout entier. Il n’a pour la raison humaine, pour ce qu’on appelle « âme », « esprit », « moi » qu’une assez médiocre estime. La sensibilité et l’intelligence sont, d’après lui, les instruments et les jouets d’une puissance cachée qui les domine et les utilise en vue de ses fins : « Derrière tes sentiments et tes pensées, ô mon frère, se tient un maître puissant, un sage inconnu — il se nomme « Soi » (Selbst). Il habite ton corps, il est ton corps[2]. » Le corps avec ses instincts, avec la « volonté de puissance » qui l’anime, c’est là ce que Nietzsche appelle « la grande raison » de l’homme ; quant à sa « petite raison » dont il s’enorgueillit si volontiers, dont il vante si souvent la

  1. W. VI, 114 s.
  2. W. VI, 47.