Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à rêver des jours meilleurs. « Ce livre, dit-il, en parlant de la Gaie science, écrite en 1882, n’est autre chose qu’un cri de joie après de longs jours de misère et d’impuissance, c’est un hymne d’allégresse où chantent les forces qui reviennent, la croyance renaissante en un lendemain et surlendemain, le sentiment et le pressentiment soudain d’un avenir ouvert pour moi, d’aventures prochaines, de mers libres, de buts nouveaux vers qui je pouvais tendre, à qui je pouvais croire[1]. » Il a échappé à la double tyrannie de la maladie qui assombrissait l’horizon de sa vie, et de son intraitable orgueil qui refusait de plier devant la douleur et se contraignait à rester debout en vertu de ce fier principe « qu’un malade n’a pas le droit d’être pessimiste[2] ». Il sentait maintenant en lui la joyeuse griserie de la santé reconquise ; il avait L’impression d’un printemps radieux succédant à l’hiver glacial. Dans ces dispositions nouvelles, il ne pouvait plus se contenter de cet idéal du « libre esprit » tel qu’il l’avait défini dans Choses humaines. Il manque de joie, en effet, ce « libre esprit » ; la souffrance l’a rendu un peu morose ; il ne s’est pas encore délivré tout à fait de * l’esprit de la pesanteur », de « ce très haut et très puissant démon, dont on dit qu’il est le maître du monde[3] » ; il ne sait pas encore « danser », se jouer librement, gaiement, sans effort sur les flots de la vie. Et dans la pensée de Nietzsche s’élève alors une nouvelle vision d’avenir : son imagination d’artiste enfante la rayonnante figure du prophète Zarathustra qui après avoir passé dix ans au désert « à jouir de sa pensée et de sa solitude », descend parmi les hommes pour leur annoncer la religion du « Surhomme » et la doctrine du « Retour éternel », qui

  1. W. V. 4.
  2. W. III, 9.
  3. W. VI, 157.