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Les premières œuvres de la période proprement philosophique de Nietzsche Choses humaines, Sentences et opinions diverses, Le Voyageur et son Ombre et Aurore, qui ont été écrites, comme nous venons de le voir au moment où la santé de Nietzsche était le plus gravement menacée, respirent cette défiance profonde de l’existence qu’avait fait naître en lui la maladie. Elles ont, les unes comme les autres, une tendance nettement négative. L’air qu’on y respire est âpre et glacé. Nietzsche s’y révèle comme le destructeur impitoyable qui bat en brèche toutes les croyances religieuses, métaphysiques ou morales ; il se compare à un mineur qui sape par la base les dogmes les plus solides, qui pousse lentement, patiemment, sûrement, ses galeries souterraines loin de la lumière du jour, loin des yeux des hommes. Choses humaines est une attaque à fond contre le pessimisme romantique, en particulier contre Schopenhauer, dont Nietzsche, revenant sur ses opinions d’autrefois, répudie hautement les doctrines ; il repousse maintenant l’hypothèse de la volonté comme « chose en soi » qu’il admettait encore dans la Naissance de la tragédie et nie d’une manière générale la nécessité de croire à une « chose en soi » ; il combat la morale de la pitié, l’apologie du renon-

    Empfindungen, 1877). Or cette influence est d’abord catégoriquement niée par Nietzsche lui-même, dans une lettre de 1878 à Erwin Rohde (voir W. XI, 422), dans la préface de la Généalogie de la Morale (W. VII, 291) et dans Ecce homo (cité par Mme Förster-Nietzsche, II, 1, p. 297). De plus cette assertion de Nietzsche se trouve confirmée par la publication récente des études préliminaires pour Choses humaines qui montrent que Nietzsche avait conçu et mis sur papier toutes ses idées nouvelles avant l’automne de 1876 où il se lia plus intimement avec Rée. — Enfin il résulte, je crois, de notre exposition que le développement intellectuel de Nietzsche a été parfaitement logique et que l’évolution de 1876 n’a pas été soudaine mais s’est lentement préparée pendant des années. Pour toutes ces raisons, il nous semble que les relations de Rée avec Nietzsche ont un intérêt plutôt biographique que philosophique ; c’est pourquoi aussi nous ne nous en occuperons pas davantage dans cette étude.