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retournant tout à coup, d’une main il serra Elvire à la gorge pour arrêter les clameurs qu’elle poussait, et, de l’autre, la terrassant avec violence, il la traîna vers le lit. Troublée de cette attaque inattendue, elle eut à peine la possibilité d’essayer de lutter contre son étreinte ; le moine, arrachant l’oreiller de dessous la tête de la fille, en couvrit la figure de la mère ; et, lui appuyant de toute sa vigueur son genou sur la poitrine, il tâcha de lui ôter la vie. Il n’y réussit que trop bien : la victime, dont la force naturelle était accrue par l’excès de son angoisse, se débattit longtemps pour lui échapper, mais en vain ; le moine, le genou toujours appuyé sur son sein, contempla sans pitié le tremblement convulsif de ses membres, et soutint avec une fermeté inhumaine le spectacle de ces déchirements du corps et de l’âme près de se séparer. Enfin, l’agonie se termina ; Elvire cessa de disputer sa vie. Le moine retira l’oreiller, et la regarda : son visage était couvert d’une noirceur effrayante ; ses membres ne remuaient plus ; le sang était gelé dans ses veines ; son cœur avait cessé de battre, et ses mains étaient raides et glacées : cette noble et majestueuse femme n’était plus qu’un cadavre — froid, insensible et révoltant.

Cet acte horrible ne fut pas plus tôt consommé, que le prieur sentit l’énormité de son crime. Une sueur froide coula sur tout son corps ; ses yeux se fermèrent ; il chancela et s’affaissa sur une chaise, presque aussi privé de vie que l’infortunée qui gisait à ses pieds. Il fut tiré de cet état par la nécessité de fuir et par le danger d’être trouvé dans la chambre d’Antonia ; il n’avait aucun désir de recueillir le fruit de son forfait : Antonia ne lui inspirait plus que de la répugnance ; un froid mortel avait remplacé l’ardeur qui lui brûlait le sein ; il ne s’offrait