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sont agitées ; il résolut de n’en plus retarder l’accomplissement d’un seul instant, et d’une main impatiente il se mit à arracher les vêtements qui l’empêchaient d’assouvir sa fureur.

« Bonté divine ! » s’écria une voix derrière lui : « ne me trompé-je point ? n’est-ce point une illusion ? »

La terreur, la confusion et le désappointement accompagnèrent ces mots, quand ils frappèrent l’oreille d’Ambrosio ; il tressaillit et se retourna : Elvire était debout à la porte de la chambre et contemplait le moine avec des regards de surprise et d’exécration.

Un songe effrayant lui avait représenté Antonia auprès d’un précipice ; elle l’avait vue tremblante sur le bord : chaque instant semblait menacer de sa chute, et elle l’entendait crier : « Sauvez-moi, ma mère ! sauvez-moi ! encore un moment, et il sera trop tard. » Elvire s’était éveillée d’épouvante : la vision avait fait sur son esprit une trop forte impression pour lui permettre de reposer sans s’être assurée de la sûreté de sa fille ; elle avait quitté précipitamment le lit, avait passé une robe, et, traversant le cabinet où dormait la femme de chambre, elle était arrivée chez Antonia juste à temps pour la sauver des embrassements de son ravisseur.

Pétrifiés tous deux, l’un de honte, l’autre de stupeur, Elvire et le moine semblaient changés en statues ; ils restaient en silence à se regarder l’un l’autre : la dame fut la première à se remettre.

« Ce n’est point un rêve ! » s’écria-t-elle ; « c’est réellement Ambrosio qui est devant moi : l’homme que Madrid estime un saint, c’est lui que je trouve à cette heure près du lit de ma malheureuse enfant ! Monstre d’hypocrisie ! je soupçonnais déjà vos desseins, mais je retenais l’accusation par pitié de la fragilité humaine ; main-