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Dans les soupirs passer tout le jour, goûter un sommeil court et interrompu ; pour un seul cher objet absent bien loin, dédaigneux de tout autre, veiller et pleurer : telles sont les peines de l’amour ! — Hélas ! je souffre tant de connaître les peines de l’amour !

Lire un aveu dans les yeux d’une vierge, presser des lèvres qui n’ont jamais été pressées, les entendre soupirer d’ivresse, et les baiser, les baiser, les baiser encore : tels sont tes plaisir, amour ! — Mais hélas ! quand mon cœur connaîtra-t-il tes plaisirs ?

CHŒUR.

Maintenant, silence, ma lyre ! Ma voix, taisez-vous ! Dors, aimable fille ! Que ma tendre ardeur remplisse tes visions d’amoureuses pensées, quoique ma voix se taise, et que ma lyre soit silencieuse !

La musique cessa, les exécutants se dispersèrent, et le calme régna dans la rue. Selon son habitude, Antonia se recommanda à sainte Rosalie, dit ses prières de tous les soirs, et se mit au lit. Le sommeil ne tarda pas à venir, et à la délivrer de ses terreurs et de son inquiétude.

Il était près de deux heures lorsque le moine luxurieux se hasarda à diriger ses pas vers la demeure d’Antonia. Il a déjà été dit que le monastère n’était pas loin de la rue de San-Iago. Ambrosio parvint jusqu’à la maison sans être vu. Là il s’arrêta, et hésita un moment. Il réfléchit à l’énormité du crime, aux conséquences s’il était découvert, et à la probabilité, après ce qui s’était passé, qu’Elvire le soupçonnât d’être l’auteur du viol. D’un autre côté, il se disait que ce ne seraient que des soupçons ; qu’on ne pourrait produire aucune preuve du crime ; qu’il paraîtrait impossible que la violence eût été commise sans qu’Antonia sût quand, où et par qui ; enfin, il regardait sa réputation comme trop fermement établie pour être ébranlée par les accusations isolées de deux