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qu’un autre hypocrite, un autre religieux lui préparait. Aidé des agents infernaux de Mathilde, Ambrosio avait résolu la ruine de l’innocente Antonia. Le moment qui devait être si funeste pour elle arriva : elle avait pris congé de sa mère pour la nuit ; en l’embrassant, elle avait éprouvé un découragement qui ne lui était pas ordinaire. Elle la quitta, revint aussitôt, tomba dans ses bras maternels, et baigna ses joues de larmes ; elle se sentait mal à l’aise, et un secret pressentiment l’assurait qu’elles ne devaient plus se revoir. Elvire le remarqua, et essaya de dissiper en riant ces préjugés puérils ; elle la gronda doucement d’encourager cette tristesse sans fondement, et l’avertit du danger d’entretenir de pareilles idées.

À toutes ses remontrances, elle ne recevait pas d’autre réponse que —

« Ma mère ! chère mère ! oh ! mon Dieu ! que je voudrais être au matin ! »

L’inquiétude d’Elvire au sujet de sa fille était un grand obstacle à son parfait rétablissement, et elle souffrait encore des suites de sa dangereuse maladie. Ce soir-là elle était plus mal qu’à l’ordinaire, et s’était mise au lit avant son heure accoutumée. Antonia se retira de chez sa mère avec regret, et jusqu’à ce que la porte fût fermée, elle fixa les yeux sur elle avec une expression mélancolique. Elle entra dans sa propre chambre : son cœur était rempli d’amertume ; il lui semblait que tout son avenir était gâté, et que le monde ne contenait rien qui valût la peine de vivre. Elle tomba sur une chaise, appuya sa tête sur son bras, et regarda le plancher sans le voir, tandis que les plus tristes images flottaient devant son imagination. Elle était dans cet état d’insensibilité, lorsqu’elle en fut tirée par une douce musique qui se jouait sous sa fenêtre : elle se leva, s’approcha de la croisée et