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rive : il courut droit à la sorcière, sa mère, et d’un ton suppliant il lui parla ainsi :

« Oh ! mère ! mère ! apprenez-moi comment je puis surprendre la fille qui est là-bas ; oh ! mère ! mère ! expliquez-moi comment je puis obtenir la fille qui est là-bas. »

La sorcière lui donna une armure blanche ; elle le changea en un galant chevalier ; puis de l’eau claire sa main fit un coursier dont les harnais étaient de sable.

Alors le roi des eaux partit vite ; il dirigea ses pas vers l’église de Marie : il attacha son coursier à la porte, et parcourut le cimetière douze fois.

Son coursier à la porte il attacha, et douze fois parcourut le cimetière ; puis il entra dans la nef où tous les fidèles s’assemblaient, grands et petits.

Le prêtre dit, comme le chevalier approchait : « pourquoi le chef blanc vient-il ici ? » La jolie fille, elle sourit à l’écart : « Oh ! si j’étais la fiancée du chef blanc ! »

Il enjamba un et deux bancs : « Oh ! jolie fille, je meurs pour vous ! » Il enjamba deux et trois bancs : « Oh ! jolie fille ! venez avec moi ! *

Alors elle sourit gracieusement, la jolie fille ; et, lui donnant la main, elle dit : « Qu’il m’arrive joie, qu’il m’arrive mal, par monts, par vaux, avec toi je vais ! »

Le prêtre unit leurs mains ensemble ; ils dansent tant que brille la clarté de la lune. Elle se doute peu, la radieuse fille, que son cavalier est l’esprit des eaux.

Oh ! si quelque génie avait daigné chanter : « Votre fiancé est le roi des eaux ! » la fille aurait avoué crainte et haine, et maudit la main qu’elle pressait.

Mais rien ne donnant sujet de penser qu’elle s’égarât si près des bords du danger, elle continua d’aller ; et, la main dans la main, les amants arrivèrent au sable jaune.

« Montez avec moi ce coursier, ma chère, il nous faut passer la petite rivière que voici ; entrez-y hardiment ; elle n’est pas profonde : les vents se taisent, les flots dorment. »

Ainsi parla le roi des eaux. La fille obéit au désir de son perfide fiancé ; et bientôt elle vit le coursier se baigner joyeux dans l’onde, sa mère.