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l’autel dans la chapelle miraculeuse ; les moines étaient en train de revêtir la statue de ses plus beaux habits. On avait ordonné aux pèlerins de fermer les yeux pendant cette cérémonie ; mais, quoique de ma nature extrêmement religieux, la curiosité fut trop forte. Au moment — je vais vous pénétrer d’horreur, révérendes dames, en vous révélant mon crime ! — au moment où les moines la changeaient de chemise, je me hasardai à ouvrir l’œil gauche, et je jetai un regard furtif sur la statue. Ce regard fut le dernier ! la gloire qui entourait la vierge avait trop de splendeur pour être supportée ; je fermai soudain mon œil sacrilège, et depuis il m’a été impossible de le rouvrir. »

Au récit de ce miracle, les nonnes firent toutes le signe de la croix, et promirent d’intercéder auprès de la Sainte-Vierge pour qu’elle lui rendît l’usage de son œil. Elles exprimèrent leur surprise de l’étendue de ses voyages, et de la bizarrerie de ses aventures, à un âge encore si tendre ; puis, remarquant sa guitare, elles demandèrent s’il savait la musique. Il répliqua avec modestie que ce n’était point à lui à prononcer sur son mérite ; mais il réclama la permission de les prendre pour juges. On y consentit sans peine.

« Mais au moins, » dit la vieille portière, « ayez soin de ne rien chanter de profane. »

« Comptez sur ma prudence, » repartit Théodore ; « vous allez apprendre, par l’aventure d’une demoiselle qui s’éprit subitement d’un chevalier inconnu, combien il est dangereux pour de jeunes femmes de s’abandonner à leurs passions. »

« Mais l’aventure est-elle vraie ? » demanda la portière.

« À la lettre. Elle arriva en Dancmarck, et l’héroïne en était réputée si jolie, qu’on ne la connaissait que sous le nom de la jolie fille. »