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du prieur, elle supporta avec courage la perte des espérances qu’elle avait fondées sur Lorenzo et sur le marquis. Cette ressource à présent lui manquait : elle était convaincue que la ruine de sa fille avait été méditée par Ambrosio ; et lorsqu’elle réfléchissait que sa mort laisserait Antonia sans ami et sans soutien dans un monde si bas, si perfide et si dépravé, son cœur se gonflait d’amertume et de crainte. Dans ces occasions, elle restait des heures entières à contempler la charmante enfant dont elle avait l’air d’écouter l’innocent babil, tandis qu’en réalité elle ne pensait qu’aux chagrins où il suffisait d’un moment pour la plonger. Alors elle la serrait soudain dans ses bras, et appuyait sa tête sur le sein de sa fille, qu’elle arrosait de larmes.

Un événement se préparait qui l’aurait rassurée si elle l’avait su. Lorenzo n’attendait plus qu’une occasion favorable pour instruire le duc de son projet de mariage : toutefois, une circonstance qui arriva à cette époque l’obligea de différer encore de quelques jours son explication.

La maladie de don Raymond paraissait faire des progrès ; Lorenzo était constamment à son chevet, et le soignait avec une tendresse vraiment fraternelle : et la cause et les effets du mal affligeaient également le frère d’Agnès ; mais la douleur de Théodore n’était guère moins vive : cet aimable enfant ne quittait pas son maître d’un instant, et mettait tout en usage pour le consoler et le soulager. Le marquis avait conçu une affection si profonde pour sa maîtresse défunte, que personne ne croyait qu’il pût survivre à cette perte ; il aurait succombé à son chagrin, sans la persuasion qu’elle vivait encore, et qu’elle avait besoin de son assistance. Quoique convaincus du contraire, les gens qui l’entouraient l’encourageaient dans