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« Vous n’osez ? comme vous m’avez trompée ! Cet esprit que j’estimais si grand, si courageux, se montre infirme, puéril et rampant, — esclave des erreurs du vulgaire, et plus faible que celui d’une femme. »

« Quoi ! connaissant le danger, m’exposerai-je volontairement aux artifices du séducteur ? renoncerai-je à tout espoir de salut ? mes yeux rechercheront-ils un spectacle qui, je le sais, doit les aveugler ? Non, non, Mathilde, je ne ferai point alliance avec l’ennemi de Dieu. »

« Êtes-vous donc l’ami de Dieu en ce moment ? n’avez-vous pas rompu vos engagements avec lui, renoncé à son service ? ne vous êtes-vous pas abandonné à l’entraînement de vos passions ? ne complotez-vous pas la perte de l’innocence, la ruine d’une créature qu’il a formée sur le modèle des anges ? Quelle aide invoquerez-vous, si ce n’est celle des démons, pour accomplir ce louable dessein ? Les séraphins le protégeront-ils ? conduiront-ils Antonia dans vos bras ? leur ministère sanctionnera-t-il vos plaisirs illicites ? Ô absurdité ! Mais je ne m’abuse pas, Ambrosio ! ce n’est pas la vertu qui vous fait rejeter mon offre ; vous voudriez l’accepter, mais vous n’osez pas ; ce n’est pas le crime qui retient votre bras, c’est le châtiment ; ce n’est pas le respect de Dieu qui vous arrête, c’est l’effroi de sa vengeance ! vous voudriez bien l’offenser en secret, mais vous tremblez de vous déclarer son ennemi. Honte à l’âme pusillanime qui n’a pas le courage d’être ami sûr ou ennemi déclaré ! »

« Envisager le crime avec horreur, Mathilde, est en soi-même un mérite : sous ce rapport, je me fais gloire de m’avouer pusillanime. Quoique mes passions m’aient fait manquer à ses lois, je sens toujours dans mon cœur l’amour inné de la vertu. Mais il vous convient mal de m’accuser de parjure, vous qui, la première, m’avez fait