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colère en pensant que, sans Elvire, il aurait possédé l’objet de ses désirs. Avec les plus terribles imprécations, il fit vœu de se venger d’elle : il jura d’avoir Antonia, quoi qu’il en dût coûter. S’élançant de son lit, il parcourut la chambre à pas désordonnés, hurla avec une fureur impuissante, se heurta violemment contre les murs, et se livra à tous les transports de la rage et de la démence.

Il était encore sous l’influence du déchaînement de ses passions, lorsqu’on heurta un léger coup à la porte de sa cellule. Sa voix avait dû être entendue : il n’osa pas refuser d’admettre l’importun. Il tâcha de se remettre et de cacher son agitation : y ayant un peu réussi, il tira le verrou ; la porte s’ouvrit, et Mathilde parut.

C’était précisément la personne qu’il aurait le plus désiré de ne pas voir ; il n’était pas assez maître de lui pour dissimuler son mécontentement : il recula et fronça le sourcil.

« Je suis occupé, » s’empressa-t-il de dire d’un ton dur ; « laissez-moi. »

Mathilde n’en tint pas compte ; elle referma la porte, et s’avança vers lui d’un air doux et suppliant.

« Pardonnez-moi, Ambrosio, » dit-elle ; « dans votre intérêt même je ne dois pas vous obéir. Ne craignez aucune plainte de moi ; je ne viens pas vous reprocher votre ingratitude ; et puisque votre amour ne peut plus m’appartenir, je vous demande la seconde place, celle de confidente et d’amie. Nous ne pouvons pas forcer nos inclinations : le peu de beauté que vous m’avez trouvée s’est évanouie avec la nouveauté ; et si elle ne peut plus exciter vos désirs, c’est ma faute et non la vôtre. Mais pourquoi persister à m’éviter ? pourquoi tant d’anxiété à fuir ma présence ? Vous avez des chagrins, et vous ne me permettez pas de les partager ; vous avez des contrariétés,