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inspiraient des doutes sur la pureté de l’amitié d’Ambrosio. En conséquence, elle avait résolu de tâcher de le surprendre la première fois qu’il serait seul avec Antonia : son plan venait de réussir. Il est vrai que lorsqu’elle entra dans la chambre, il avait déjà abandonné sa proie ; mais le désordre d’Antonia et la honte empreinte sur le visage du moine suffisaient pour prouver à Elvire que ses soupçons n’étaient que trop fondés. Cependant elle était trop prudente pour les laisser voir ; elle jugea que ce ne serait pas chose facile que de démasquer l’imposteur : le public était trop prévenu en sa faveur ; et elle-même ayant peu d’amis, elle crut dangereux de se faire un ennemi si puissant. Elle feignit donc de ne point remarquer combien il était agité ; elle s’assit tranquillement sur le sofa, donna une raison quelconque pour avoir quitté inopinément sa chambre, et causa de divers sujets avec un air d’aisance et de sécurité.

Rassuré par cette conduite, le moine commença à se remettre. Il s’efforça de répondre à Elvire sans paraître embarrassé : mais il était encore trop novice dans l’art de la dissimulation, et il sentit qu’il devait avoir l’air gauche et confus ; il abrégea donc l’entretien et se leva pour partir. Mais quel fut son déplaisir lorsqu’en prenant congé, Elvire lui dit en termes polis qu’étant à présent tout à fait guérie, elle croirait commettre une injustice si elle privait de le voir d’autres personnes qui pourraient en avoir plus besoin qu’elle ! Elle l’assura qu’elle lui garderait une reconnaissance éternelle des avantages qu’elle avait retirés de sa société et de ses exhortations pendant qu’elle était malade, et elle regretta que leurs affaires domestiques et la multiplicité des occupations dont lui-même dans sa position il devait nécessairement être accablé, les privassent dorénavant du plaisir de ses visites.