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N’avez-vous jamais vu d’homme que vous auriez désiré pour mari ? »

« Non, vraiment ! »

Ce n’était pas la vérité, mais elle mentait sans le savoir : elle ne connaissait pas la nature de ses sentiments pour Lorenzo ; et ne l’ayant pas vu depuis la première visite qu’il avait rendue à sa mère, chaque jour affaiblissait l’impression qu’il lui avait faite : d’ailleurs, elle ne pensait à un mari qu’avec l’effroi d’une vierge, et elle n’hésita pas à répondre négativement à la demande du moine.

« Et n’avez-vous pas grande envie de voir cet homme, Antonia ? ne sentez-vous point dans votre cœur un vide que vous voudriez remplir ? ne soupirez-vous point de l’absence de quelqu’un qui vous est cher, sans pourtant savoir qui c’est ? ne remarquez-vous pas que ce qui vous plaisait autrefois n’a plus de charmes pour vous ? que des milliers de nouveaux désirs, de nouvelles idées, de sensations nouvelles, sont nés dans votre sein, et que vous les éprouvez sans pouvoir les décrire ? ou bien, lorsque vous enflammez chaque cœur, est-il possible que le vôtre reste insensible et froid ? Cela ne peut être ! cet œil humide, cette joue vermeille, cette ravissante mélancolie voluptueuse qui se répand parfois sur vos traits — tous ces signes démentent vos paroles : vous aimez, Antonia ; en vain vous voulez me le cacher. »

« Mon père, vous m’étonnez ! quel est cet amour dont vous parlez ? je n’en connais pas la nature, et, si je l’éprouvais, pourquoi le cacherais-je ? »

« N’avez-vous jamais, Antonia, rencontré d’homme qu’il vous semblait avoir longtemps cherché, quoique vous ne l’eussiez jamais vu auparavant ? un étranger dont la figure était familière à vos yeux ? dont la voix vous