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passages qu’ils feraient mieux d’ignorer ; le livre qui trop souvent enseigne les premières leçons du vice, et donne l’alarme aux passions encore endormies. Elvire en était si persuadée, qu’elle aurait préféré mettre aux mains de sa fille Amadis de Gaule, ou le vaillant champion Tyran-le-Blanc ; et qu’elle l’aurait autorisée plutôt à étudier les exploits licencieux de don Galaor, ou les plaisanteries lascives de Damsel plazer di mi vida. Elle avait donc pris deux résolutions au sujet de la Bible : la première était qu’Antonia ne la lirait que lorsqu’elle serait d’âge à en sentir les beautés et à en apprécier la morale ; la seconde fut de la copier de sa propre main et d’en changer ou supprimer tous les passages inconvenants. Elle avait exécuté ce projet, et telle était la Bible d’Antonia : celle-ci ne l’avait que depuis fort peu de temps, et la lisait avec une avidité, avec un plaisir, inexprimables. Ambrosio s’aperçut de sa méprise, et remit le livre sur la table.

Antonia parla de la santé de sa mère avec toute la joie enthousiaste d’un jeune cœur.

« J’admire votre tendresse filiale, » dit le prieur ; « elle prouve la sensibilité de votre excellent caractère ; elle promet un trésor à celui que le ciel destine à obtenir votre affection. Le cœur qui est si susceptible d’attachement pour une mère, que ne sentira-t-il pas pour un amant ? et peut-être même que ne sent-il pas déjà ? Dites-moi, ma charmante fille, savez-vous ce que c’est que d’aimer ? Répondez-moi avec sincérité : oubliez mon habit, et ne voyez en moi qu’un ami ! »

« Ce que c’est que d’aimer ? » dit-elle, en répétant la question. « Oh ! oui, sans doute ; j’ai aimé beaucoup, beaucoup de gens. »

« Ce n’est pas là ce que j’entends. L’amour dont je parle ne peut être éprouvé que pour une seule personne.