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rétablie, il se retira de meilleure heure qu’à l’ordinaire. Ne voyant point Antonia dans la chambre qui servait d’entrée, il osa la chercher jusque dans la sienne. Cette pièce n’était séparée de celle de sa mère que par un cabinet où couchait généralement Flora, la femme de chambre. Antonia était assise sur un sofa, le dos tourné vers la porte, et lisait attentivement ; elle ne remarqua son approche que lorsqu’il fut assis près d’elle. Elle tressaillit, et l’accueillit d’un air satisfait ; puis se levant, elle voulut le mener au salon ; mais Ambrosio, lui prenant la main, l’obligea, avec une douce violence, de se remettre à sa place. Elle y consentit sans difficulté : elle ne savait pas qu’il y eût plus d’inconvenance à causer avec lui dans une pièce que dans une autre ; elle croyait être également sûre et de ses principes et de ceux du prieur, et, s’étant rassise sur le sofa, elle commença à jaser avec son aisance et sa vivacité habituelles.

Il examina le livre qu’elle avait lu et posé sur la table : c’était la Bible.

« Comment ! » se dit-il, » elle lit la Bible et elle est encore si innocente ! »

Mais, après un plus ample examen, il reconnut qu’Elvire avait fait exactement la même réflexion. Cette mère prudente, tout en admirant les beautés des saintes Écritures, était convaincue que, si l’on n’en retranchait rien, c’était la lecture la moins convenable qu’on pût permettre à une jeune personne. Nombre de récits n’y tendent qu’à exciter des idées qui sont fort déplacées dans le cœur d’une femme : chaque chose est appelée simplement et crûment par son nom, et les annales d’un mauvais lieu ne fourniraient pas un plus grand choix d’expressions indécentes. Voilà pourtant le livre dont on recommande l’étude aux jeunes femmes, qu’on met dans la main des enfants, hors d’état d’y comprendre guère plus que ces