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son impardonnable convoitise, chaque jour augmentait sa froideur pour Mathilde ; la conscience de ses torts envers elle n’y contribuait pas peu : les lui cacher, pour cela il n’était pas assez maître de lui ; mais il craignait que, dans un transport de rage jalouse, elle ne trahît le secret d’où dépendaient sa réputation et même sa vie. Mathilde ne pouvait pas ne pas remarquer tant d’indifférence : il sentait qu’elle la remarquait, et, redoutant ses reproches, il l’évitait soigneusement ; cependant, lorsqu’il ne pouvait l’éviter, sa douceur aurait dû le convaincre qu’il n’avait rien à craindre de son ressentiment. Elle avait repris le rôle du paisible et intéressant Rosario : elle ne le taxait point d’ingratitude ; mais ses yeux se remplissaient involontairement de larmes, et la douce mélancolie de sa physionomie et de sa voix proférait des plaintes bien plus touchantes qu’aucune parole n’aurait pu faire. Ambrosio n’était pas insensible à cette douleur ; mais, incapable d’en écarter la cause, il s’abstenait de montrer qu’elle l’affectât. Convaincu par la conduite de Mathilde qu’il n’avait pas de vengeance à craindre, il continua de la négliger, et d’éviter sa société. Celle-ci voyait qu’elle essayait vainement de le ramener ; mais elle comprimait les élans du ressentiment, et continuait de son côté à traiter son infidèle amant avec la même tendresse qu’autrefois.

Peu à peu Elvire reprenait des forces ; elle n’était plus tourmentée de convulsions, et Antonia cessait de trembler pour sa mère. Ambrosio vit cette guérison avec déplaisir. Il comprit qu’Elvire, connaissant le monde, ne serait pas la dupe de sa sainteté apparente, et qu’elle pénétrerait aisément ses vues. Il résolut donc, avant que la mère ne quittât la chambre, d’essayer l’étendue de son influence sur la fille.

Un soir qu’il avait trouvé Elvire presqu’entièrement