Page:Lewis - Le Moine, Tome 2, trad Wailly, 1840.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus impatient de la priver de cette qualité qui formait son principal charme. La chaleur de la passion et la pénétration naturelle dont il était abondamment pourvu pour son propre malheur et pour celui d’Antonia, suppléèrent à son ignorance des artifices de la séduction. Il discerna aisément les émotions favorables à ses desseins, et saisit avidement tous les moyens de verser la corruption dans le cœur d’Antonia. Ceci ne fut pas chose facile. Une extrême ingénuité empêchait qu’elle n’aperçût le but auquel tendaient les insinuations du moine ; mais les principes excellents qu’elle devait aux soins d’Elvire, la justesse et la solidité de son jugement, et un sentiment inné du devoir, lui faisaient comprendre que les maximes du prieur n’étaient pas irréprochables. Souvent, d’un simple mot elle renversait tout l’amas de ses sophismes, et lui faisait sentir comme ils sont faibles devant la vertu et la vérité. Alors, il se réfugiait dans son éloquence ; il l’écrasait d’un torrent de paradoxes philosophiques, que, faute de les comprendre, elle ne pouvait réfuter ; et de la sorte, s’il ne la convainquait pas de la justesse de ses raisonnements, du moins il l’empêchait d’en découvrir la fausseté. Il remarqua qu’elle avait de jour en jour plus de déférence pour son jugement, et il ne douta pas qu’avec le temps il ne l’amenât au point désiré.

Il ne se dissimulait pas que ses tentatives étaient criminelles ; il voyait clairement la bassesse qu’il y avait à séduire cette fille innocente ; mais sa passion était trop violente pour lui permettre d’abandonner son dessein. Il résolut de le poursuivre, quelles qu’en pussent être les conséquences. Il espérait surprendre Antonia dans un moment d’oubli, et ne voyant aucun homme admis chez elle, n’entendant ni elle ni Elvire en nommer aucun, il croyait ce jeune cœur encore libre. Tandis qu’il attendait l’occasion de satisfaire