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amèrement cette perte ; elle s’efforçait en vain d’arracher cette image de son trop tendre cœur, assurait-elle à tous ceux qui avaient la bonté de l’écouter ; elle se donnait les airs d’une vierge malade d’amour, et cela jusqu’au dernier ridicule ; elle poussait de lamentables soupirs, marchait les bras croisés, débitait de longs monologues, dont le sujet roulait d’ordinaire sur quelque fille délaissée qui expirait le cœur brisé ! ses boucles couleur de feu étaient toujours ornées d’une guirlande de saule : tous les soirs on la voyait s’égarer sur les bords d’une petite rivière au clair de la lune, et elle professait une violente admiration pour les murmures des flots et des rossignols, —

« Pour les réduits solitaires et les bocages touffus, lieux chéris de la passion au teint pâle ! »

Tel était l’état de l’âme de Léonella quand il lui fallut quitter Madrid. Elvire, impatientée de toutes ces extravagances, s’efforça de lui persuader d’agir en femme raisonnable ; mais ses conseils furent dédaignés : Léonella, en partant, protesta que rien ne pourrait lui faire oublier le perfide don Christoval. En ceci, heureusement, elle se méprenait : un honnête jeune homme de Cordoue, qui était garçon apothicaire, trouva que la fortune qu’elle avait suffirait pour le mettre à même de tenir une jolie petite boutique à son tour ; dans cette idée, il se déclara son adorateur. Léonella n’était pas inflexible ; l’ardeur de ses soupirs lui alla au cœur, et bientôt elle consentit à le rendre le plus heureux des hommes. Elle écrivit à sa sœur pour l’informer de son mariage ; mais, par des raisons qui vont être expliquées, Elvire ne répondit point à cette lettre.

Ambrosio avait été conduit dans la pièce qui précédait celle où reposait Elvire. La domestique qui l’avait introduit le laissa seul pour aller l’annoncer à sa maîtresse.