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la chaleur, étaient presque désertes : le moine rencontra peu de gens, trouva la rue de San-Iago, et arriva sans accident à la porte de doña Elvire. Il sonna : on lui ouvrit et on l’introduisit dans une chambre d’en haut.

Ce fut là qu’il courait le plus grand risque d’être découvert. Si Léonella avait été au logis, elle l’aurait reconnu sur-le-champ. Ses dispositions communicatives ne lui auraient pas permis de rester en repos jusqu’à ce que tout Madrid eût été instruit qu’Ambrosio était sorti du monastère pour venir voir sa sœur. Le hasard se montra l’ami du moine. Léonella, à son retour, avait trouvé une lettre qui l’informait de la mort d’un cousin, lequel lui laissait ainsi qu’à Elvire le peu qu’il possédait. Pour s’assurer de ce legs, elle avait été obligée de partir pour Cordoue sans perdre un instant. Au milieu de toutes ses faiblesses, son cœur était vraiment chaud et affectionné, et il lui coûtait de quitter sa sœur si dangereusement malade ; mais Elvire avait insisté pour qu’elle fît ce voyage, sentant que dans l’état d’abandon où était sa fille, tout accroissement de fortune, si mince qu’il fût, ne devait point être négligé. Léonella avait donc quitté Madrid, sincèrement affligée de la maladie de sa sœur, et donnant quelques soupirs à la mémoire de l’aimable mais inconstant don Christoval : elle était pleinement persuadée d’avoir fait de prime abord une terrible brèche dans ce cœur ; mais, n’entendant plus parler de lui, elle supposa qu’il avait abandonné la poursuite, rebuté par la bassesse de sa naissance et sachant que toute autre vue que celle du mariage ne lui laissait rien à espérer d’un pareil dragon de vertu ; ou bien encore, qu’étant naturellement capricieux et changeant, le souvenir de ses charmes avait été effacé de l’âme du comte par ceux de quelque beauté nouvelle. Quelle qu’en fût la cause, elle déplorait