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même que Mathilde ne le trahît. Sa réputation lui était beaucoup trop chère pour qu’il ne vît pas tout le danger de se mettre à la merci de quelque étourdie vaniteuse : et comme les beautés de Madrid ne parlaient qu’à ses sens sans toucher son cœur, il les oubliait dès qu’il ne les voyait plus. Le risque d’être découvert, la crainte d’un refus, la perte de sa réputation, toutes ces considérations l’avertissaient d’étouffer ses désirs ; et quoiqu’il n’éprouvât plus pour elle qu’une parfaite indifférence, il était forcé de s’en tenir à Mathilde.

Un matin, l’affluence des pénitentes était plus grande que de coutume : il fut retenu fort tard dans le confessionnal ; enfin la foule ayant été expédiée, il se préparait à quitter la chapelle, lorsque deux femmes entrèrent et s’approchèrent de lui avec humilité ; elles relevèrent leurs voiles, et la plus jeune le pria de vouloir bien les entendre un moment. La mélodie de sa voix, de cette voix que jamais homme n’entendit sans intérêt, fixa sur-le-champ l’attention d’Ambrosio. Il s’arrêta. La solliciteuse semblait accablée de douleur ; ses joues étaient pâles, ses yeux obscurcis de larmes, et ses cheveux tombaient en désordre sur sa figure et sur son sein ; cependant sa physionomie était si douce, si innocente, si céleste, qu’elle aurait charmé un cœur moins impressionnable que celui qui palpitait dans la poitrine du prieur. D’un ton plus encourageant que de coutume, il l’invita à poursuivre, et avec une émotion que chaque instant accroissait il l’écouta parler en ces termes :

« Révérend père, vous voyez une infortunée menacée de la perte de sa plus chère, presque de sa seule amie ! Ma mère, mon excellente mère, gît sur son lit de douleur : une maladie soudaine et terrible l’a prise cette nuit, et les progrès en ont été si rapides que les médecins dé-