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L’esprit répondit avec un sourire malin :

« Notre marché ? n’en ai-je pas rempli ma part ? Qu’ai-je promis de plus que de te tirer de prison ? ne l’ai-je pas fait ? n’es-tu pas à l’abri de l’inquisition ? à l’abri de tous, excepté de moi ? Insensé que tu fus de te confier à un diable ! pourquoi n’as-tu pas stipulé ta vie, et la puissance, et le plaisir ? tu aurais tout obtenu ; maintenant tes réflexions sont trop tardives. Mécréant, prépare-toi à la mort, tu n’as pas beaucoup d’heures à vivre. »

L’effet de cette sentence fut terrible sur le malheureux condamné ; il tomba à genoux, et leva les mains vers le ciel. Le démon devina son intention, et la prévint. « Quoi ! » cria-t-il, en lui lançant un regard furieux, « oses-tu encore implorer la miséricorde de l’Éternel ? voudrais-tu feindre le repentir, et faire encore l’hypocrite ! Scélérat, renonce à tout espoir de pardon ! voilà comme je m’assure de ma proie — »

À ces mots, enfonçant ses griffes dans la tonsure du moine il s’enleva avec lui de dessus le rocher. Les cavernes et les montagnes retentirent des cris d’Ambrosio. Le démon continua de s’élever jusqu’à ce qu’il parvînt à une hauteur effrayante ; alors il lâcha sa victime. Le moine tomba, la tête la première, dans le vide de l’air ; la pointe aiguë d’un roc le reçut, et il roula de précipice en précipice jusqu’à ce que, broyé et déchiré, il s’arrêtât sur les bords de la rivière. La vie n’avait pas abandonné son misérable corps : il essaya en vain de se lever ; ses membres rompus et disloqués lui refusèrent leur office, et il ne put bouger de la place où il était tombé. Le soleil venait de paraître à l’horizon ; ses rayons brûlants donnaient aplomb sur la tête du pécheur expirant. Des milliers d’insectes, attirés par la chaleur, vinrent boire le