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vait pas avoir recours à de plus mauvais juges. La retraite monastique lui avait été jusqu’alors favorable, car elle ne lui donnait pas lieu de découvrir ses mauvaises qualités. La supériorité de ses talents l’élevait trop au-dessus de ses compagnons pour lui permettre d’être jaloux d’eux ; sa piété exemplaire, son éloquence persuasive, ses manières agréables lui avaient concilié l’estime universelle, et par conséquent il n’avait point d’injures à venger ; son ambition était justifiée par son mérite reconnu, et son orgueil n’était considéré que comme une juste confiance en ses forces.

Il ne voyait pas l’autre sexe, encore moins causait-il avec lui : il ignorait les plaisirs que les femmes peuvent procurer ; et s’il lisait dans le cours de ses études,

« Que les hommes avaient le cœur tendre, il souriait et se demandait comment. »

Un régime frugal, des veilles fréquentes et de sévères pénitences amortirent et continrent pour un temps la chaleur naturelle de sa constitution : mais aussitôt que l’occasion se présenta, aussitôt qu’il entrevit un rayon des joies auxquelles il était resté étranger, les barrières de la religion furent trop faibles pour résister au torrent impétueux de ses désirs ; tous les obstacles cédèrent à la force de son tempérament, ardent, sanguin, et voluptueux à l’excès. Jusqu’ici ses autres passions dormaient encore ; mais elles n’avaient besoin que d’être une fois éveillées pour se développer avec une violence aussi grande, aussi irrésistible.

Il continuait d’être l’admiration de Madrid. L’enthousiasme excité par son éloquence semblait plutôt croître que diminuer. Chaque jeudi, seul jour où il parût en public, la cathédrale des Capucins était remplie d’audi-