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occasion pour éclater ; tu as couru aveuglément au piège, et tu ne t’es pas fait scrupule de commettre un crime que tu blâmais dans une autre avec une impitoyable rigueur. C’est moi qui ai mis Mathilde sur ton chemin ; c’est moi qui t’ai procuré accès dans la chambre d’Antonia ; c’est moi qui t’ai fait donner le poignard qui a percé le sein de ta sœur ; et c’est moi qui dans un songe ai averti Elvire de tes desseins, et par là, t’empêchant de profiter du sommeil de sa fille, t’ai forcé d’ajouter le viol ainsi que l’inceste à la liste de tes crimes. Écoute, écoute, Ambrosio ! si tu avais résisté une minute de plus, tu sauvais ton corps et ton âme : les gardes que tu as entendus à la porte de la prison venaient te signifier ta grâce ; mais j’avais déjà triomphé ; mon plan avait déjà réussi. C’est à peine si je pouvais te proposer des crimes aussi vite que tu les exécutais. Tu es à moi, et le ciel lui-même ne peut plus te soustraire à mon pouvoir. N’espère pas que ton repentir annule notre contrat ; voilà ton engagement signé de ton sang : tu as renoncé à toute miséricorde, et rien ne peut te rendre les droits que tu as follement abjurés. Crois-tu que tes pensées secrètes m’échappaient ? non, non, je les lisais toutes ! Tu comptais toujours avoir le temps de te repentir ; je voyais ton artifice, j’en connaissais l’erreur, et je me réjouissais de tromper le trompeur ! Tu es à moi sans retour : je brûle de jouir de mes droits, et tu ne quitteras pas vivant ces montagnes. »

Pendant le discours du démon, Ambrosio était resté frappé d’épouvante et de stupeur. Ces derniers mots le réveillèrent.

« Je ne quitterai pas vivant ces montagnes ? » s’écria-t-il. « Perfide, que voulez-vous dire ? avez-vous oublié votre marché ? »