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L’esprit ne répondit point, mais continua de le considérer en silence. Ambrosio ne put soutenir ses regards : il détourna les yeux tandis que le démon parlait ainsi :

« Je le tiens donc en mon pouvoir, ce modèle de piété ! cet être sans reproche ! ce mortel qui mettait ses chétives vertus au niveau de celles des anges ! Il est à moi ! irrévocablement, éternellement à moi ! Compagnons de mes souffrances ! habitants de l’enfer ! comme vous serez heureux de mon présent ! »

Il s’arrêta, puis s’adressa au moine —

« Te porter à Mathilde ! » continua-t-il, répétant les paroles d’Ambrosio. « Malheureux ! tu seras bientôt avec elle ! tu mérites bien d’être près d’elle, car l’enfer ne compte pas de mécréant plus coupable que toi. Écoute, Ambrosio, je vais te révéler tes crimes ! Tu as versé le sang de deux innocentes : Antonia et Elvire ont péri par tes mains ; cette Antonia que tu as violée, c’est ta sœur ! cette Elvire que tu as assassinée t’a donné la naissance ! Tremble, infâme hypocrite ! parricide inhumain ! ravisseur incestueux ! tremble de l’étendue de tes offenses ! Et c’est toi qui te croyais à l’épreuve de la tentation, dégagé des humaines faiblesses, et exempt d’erreur et de vice ! L’orgueil est-il donc une vertu ? l’inhumanité n’est-elle pas une faute ? Sache, homme vain, que je t’ai depuis longtemps marqué comme ma proie : j’ai épié les mouvements de ton cœur ; j’ai vu que tu étais vertueux par vanité, non par principe, et j’ai saisi le moment propre à la séduction. J’ai observé ton aveugle idolâtrie pour le portrait de la madone : j’ai commandé à un esprit inférieur, mais rusé, de prendre une forme semblable, et tu as cédé avec empressement aux caresses de Mathilde ; ton orgueil a été sensible à sa flatterie ; ta luxure ne demandait qu’une