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Ambrosio fut bientôt aussi oublié que s’il n’avait jamais existé. Pendant ce temps le moine, porté par son guide infernal, traversait l’air avec la rapidité d’une flèche, et en peu d’instants il se trouva sur le bord du précipice le plus escarpé de la Sierra Morena.

Quoique soustrait à l’inquisition, Ambrosio était insensible aux douceurs de la liberté. Le pacte qui le damnait pesait cruellement sur son esprit, et les scènes où il avait joué le rôle principal lui avaient laissé de telles impressions que son cœur était en proie à l’anarchie et à la confusion. Les objets qui étaient maintenant devant ses yeux, et que la pleine lune voguant à travers les nuages lui permettait d’examiner, étaient peu propres à lui inspirer le calme dont il avait si grand besoin. Le désordre de son imagination était accru par l’aspect sauvage des lieux environnants : c’étaient de sombres cavernes et des rocs à pic qui s’élevaient l’un sur l’autre et divisaient les nuées au passage ; éparses çà et là, des touffes isolées d’arbres aux branches inextricables, dans lesquelles, rauque et lugubre, soupirait le vent de la nuit ; le cri perçant des aigles de montagne qui avaient bâti leur aire dans ces solitudes désertes ; le bruit étourdissant des torrents qui, gonflés par les pluies récentes, se jetaient avec violence dans d’affreux précipices ; et les eaux sombres d’une rivière silencieuse et indolente qui réfléchissait faiblement les rayons de la lune et baignait la base du rocher où se tenait Ambrosio. Le prieur jeta autour de lui un regard de terreur ; son conducteur infernal était toujours à son côté, et le contemplait d’un œil de malice, de triomphe et de mépris.

« Où m’avez-vous conduit ? » dit enfin le moine d’une voix creuse et tremblante : « pourquoi me déposer dans ces tristes lieux ? Retirez-m’en promptement ! portez-moi à Mathilde ! »