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souviens-toi que tu m’appartiens, et que je ne me laisserai pas frustrer de mon droit. »

Le moine se taisait, mais ses regards annonçaient que les paroles du tentateur n’étaient pas perdues : il songeait avec horreur aux conditions proposées. D’un autre côté, il croyait être voué à la damnation, et, en refusant l’assistance du démon, ne faire que hâter des tortures inévitables. L’esprit vit que sa résolution était ébranlée ; il redoubla d’instances, et s’efforça de fixer l’indécision du prieur : il peignit des couleurs les plus terribles les angoisses de la mort, et il excita si puissamment les craintes et le désespoir d’Ambrosio, qu’il le décida à recevoir le parchemin. Alors, avec la plume de fer qu’il tenait, il piqua la veine de la main gauche du moine ; elle pénétra profondément, et se remplit de sang aussitôt : cependant Ambrosio ne ressentit aucune douleur. La plume fut mise dans sa main tremblante : le malheureux posa le parchemin sur la table qui était devant lui, et se prépara à le signer. Tout à coup sa main s’arrêta : il se retira précipitamment et jeta la plume sur la table.

« Que fais-je ? » s’écria-t-il. Puis se tournant vers le démon d’un air désespéré : « Laisse-moi ! va-t’en ! je ne veux pas signer le parchemin. »

« Insensé ! » s’écria le démon désappointé et lançant des regards furieux qui pénétrèrent d’horreur l’âme du moine ; « c’est ainsi qu’on me joue ! Va donc ! subis ton agonie, expire dans les tortures, et apprends à connaître l’étendue de la miséricorde de l’Éternel ! mais prends garde de te rire encore de moi ! ne m’appelle plus que tu ne sois décidé à accepter mes offres ; évoque-moi une fois pour me seconder les mains vides, et ces griffes te déchireront en mille pièces. Parle ; encore une fois veux-tu signer ce parchemin ? »