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délire de la rage : il tordait ses mains, et maudissait l’heure où il était venu à la lumière. Dans un de ces instants son œil s’arrêta sur le don mystérieux de Mathilde ; ses transports furieux se suspendirent aussitôt : il regarda fixement le livre, le ramassa ; mais soudain il le jeta loin de lui avec horreur. Il parcourut rapidement son cachot — puis il s’arrêta, et reporta ses yeux sur l’endroit où le livre était tombé ; il réfléchit du moins que c’était une ressource contre le destin qu’il redoutait. Il se baissa et le ramassa une seconde fois. Il resta quelque temps tremblant et irrésolu ; il brûlait d’essayer le charme, mais il en craignait les suites. Le souvenir de sa sentence fixa enfin son indécision. Il ouvrit le volume ; mais son agitation était si grande, que d’abord il chercha en vain la page indiquée par Mathilde. — Honteux de lui-même, il rappela tout son courage. Il tourna la septième page : il commença à la lire à haute voix ; mais ses yeux se détournaient fréquemment du livre, et erraient autour de lui, cherchant l’esprit qu’il désirait et redoutait de voir. Pourtant il persista dans son dessein, et d’une voix mal assurée, et souvent interrompue, il parvint à finir les quatre premières lignes de la septième page.

Elles étaient écrites dans une langue dont la signification lui était totalement inconnue. À peine eut-il prononcé le dernier mot, que les effets du charme se firent sentir. On entendit un grand coup de tonnerre ; la prison fut ébranlée jusque dans ses fondements ; un éclair brilla dans le cachot, et l’instant d’après, porté sur un tourbillon de vapeurs sulfureuses, Lucifer reparut devant lui. Mais il ne vint plus tel qu’il était, lorsque, évoqué par Mathilde, il avait emprunté la forme d’un séraphin pour tromper Ambrosio : il se montra dans toute sa laideur qui est devenue son partage depuis sa chute du ciel ; ses membres